PIERRE PILONCHERY
LA GRANDE SURFACE ET TOUS SES LIEUX
Une interview par Marie-Sophie Chambon
Une interview enregistrée le 14 octobre 2006 pendant l'exposition "La Grande Surface et tous ses Lieux" dans le Centre Commercial Auchan de Caluire à Lyon entre le 13 et le 21 octobre 2006. Ce sont des réponses à des questions posées par Marie-Sophie Chambon utilisées dans la réalisation de son film "Un Dimanche à la Campagne" qui présente cette exposition.
Voilà... Le sable... Le sable tu vois... Tous ces grains de sable... Le sable... Un grain de sable plus un grain de sable plus un grain de sable et on a le tas de sable... Et si on enlève un grain de sable on a toujours le tas de sable... On peut rajouter un autre grain de sable on a le tas de sable... Voilà, c'est comme les surfaces ici, on peut enlever un des élément de la mosaïque et on le remplace par un autre et ça marchera tout aussi bien... Et puis chacun existe et l'ensemble existe. En fait c'est vraiment le monde qui n'en finit pas qui n'en finit pas... et qui tourne, comme ça, dans l'infini...
J'ai utilisé les catalogues et tracts publicitaires. Il m'a paru évident que ces documents que j'utilisais devaient retourner d'où ils venaient, c'est-à-dire le centre commercial. Mais je les ramène détournés sous la forme d'une oeuvre d'art. Et, c'est l'idée, qu'il y a là-dedans, de faire vivre ensemble des choses qui habituellement ne fonctionnent pas ensemble. C'est pas la société de consommation. C'est, à l'image de tous ces tracts et catalogues publicitaires qui sont mis en morceaux, c'est qu'ici j'ai l'image, avec ces matériaux là, j'ai l'image de tout ce qui fait notre vie quotidienne. Si on ouvre un catalogue publicitaire on y voit imprimés dedans des objets qu'on achète parce qu'on en a besoin. On a besoin de manger, on a besoin de se nourrir, on a besoin d'outillage. Bref, de tout ce qui fait notre vie quotidienne. Bon! Ces choses là, elles ne sont pas à négliger. Elles sont importantes parce qu'elles font notre vie. Et si nous voulons produire de la pensée il faut que notre corps existe. Si on veut que notre corps existe il faut le nourrir.
En fait on est dans une époque où tout s'additionne. Mon travail additionne. Il additionne des morceaux d'images. Il additionne des morceaux de son. Il additionne du temps. Ces surfaces là, c'est plus de mille heures, c'est à peu près 2 années de travail là-dessus. Donc il symbolise, effectivement ce lieu-là symbolise ce surplus, cette surproduction. Je l'utilise. Je l'utilise comme symbole de ce qu'est le monde entier, c'est-à-dire une addition de plein d'éléments différents, de plein d'objets différents. Cette addition additionne aussi bien des éléments effectivement de la société de consommation que des éléments de la nature, les cailloux qui sont là, les plantes qui sont là, le son de l'eau qui coule, c'est le même monde, c'est le même monde. Il n'y a pas à les séparer. Nous ne sommes pas tantôt quelqu'un dans le centre commercial et tantôt quelqu'un dans la nature au milieu des cailloux. Tout ça c'est la même personne, c'est le même monde.
Je suis dans une grande surface parce qu'en fait j'ai toujours en tête l'idée que l'art d'aujourd'hui qui est fait avec les choses de la vie d'aujourd'hui, eh bien mérite d'être montré dans les lieux de la vie d'aujourd'hui. Et je pense qu'on ne peut pas limiter l'art au monde de l'art. L'art doit sortir des limites du monde de l'art. De la même manière que l'art du XX° siècle est sorti des limites du monde de l'art. On a fait de l'art avec des choses surprenantes. Ça a commencé avec Marcel Duchamp qui en 1913 utilise un tabouret et une roue de bicyclette. A partir de là tout était possible. Donc si on peut faire de l'art avec toutes les choses de la vie, je pense qu'on doit pouvoir faire vivre cet art dans les lieux même de la vie.
Je pense que en fait je n'ai rien à attendre. Les gens en font ce qu'ils veulent. Au fond je crois qu'une oeuvre d'art renvoie non pas à elle-même mais aux gens qui la regardent. Et c'est vrai qu'ici on voit bien quand on se promène dans tout ce centre commercial que il y a des gens qui sont interpellés et d'autres qui ne voient pas. Ils ne voient pas aujourd'hui. Mais même s'ils ne s'arrêtent pas en fait ils l'ont vu quand même. Et peut-être qu'un jour ils verront mieux. Non, il n'y a rien à exiger de la part des autres, l'art propose simplement. Mon plus gros bonheur c'est lorsque je sens que les gens qui voient ça se retrouvent eux-même, c'est-à-dire ça les renvoie à eux-même. C'est quelque chose qui leur permet de penser à eux. Qu'est-ce qu'ils sont eux dans ce monde-là. Non, j'espère que la semaine où va durer cette exposition, eh bien certaines personnes auront trouvé un moment de bonheur pour eux à voir ça.
Copyright Pierre Pilonchéry 2006
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