PIERRE PILONCHERY

pilonchery.com



MON PRINCIPE D'INCERTITUDE


Pierre Pilonchéry

1982



Entre 1982 et 1988 je réalise « Les Remplissages » sur la base de « Mon Principe d'incertitude » que j'invente en 1982 pour gérer par la méthode la question déterminante du temps d'un tout en même temps. « Mon Principe d'Incertitude » relève plus d'un état d'esprit que d'une théorisation clairement rédigée. Les quelques notes écrites ont été depuis réinjectées dans d'autres textes.

De quoi s'agit-il? Il faut bien comprendre qu'en fait ce « principe d'incertitude » est né dans un contexte précis comme un instinct de survie pour pouvoir avancer mon travail de création. Au début des années 80, l'occupation de mes journées se divise en 2 parties: le matin mon travail d'enseignant, l'après-midi mon travail d'artiste. Je rentre fatigué de ce travail d'enseignement mais je ne veux pas admettre d'être freiné dans ma création par cet état de fatigue physique. Je dois avancer mon travail. J'ai à cette époque réalisé mes grandes surfaces des « Canevassages », chaque œuvre m'occupant presque une année entière. Alors je me dis que je dois trouver un moyen, une méthode, me permettant d'agir et de construire mes œuvres quel que soit l'état de ma disponibilité physique. C'est une évidence pour moi à ce moment-là : si je « remplis » mes surfaces sans autre méthode que ce fait même de « remplir », mon travail pourra se faire même si mon esprit n'est pas complètement disponible et reste dans un doute, une incertitude, quant à ce que je dois faire. Il me sufft de faire confiance en mon geste du « remplissage » et d'accepter comme œuvre « finie » le résultat obtenu par ce « remplissage ». Je complète ma méthode de travail par cette règle que je m'impose: aucun droit parce qu'aucune nécessité de corrections, reprises, arrangements. Je « sais » que ce que j'obtiens est « ce que je devais faire ». L'action crée l'œuvre qui n'est que le résultat de cette action. Vous n'imaginez pas combien j'ai retrouvé aisance et détente dans mon travail alors, comme une forme de paix, de tranquillité confiante qui me permettait d'avancer en tous cas de situation. Bien sûr je complétais cette règle par d'autres, exemple des jeux de dimensions tracées sur les surfaces comme des guides de remplissage pour avancer en complexifiant le "remplissage", exemple tous les jeux de dimensions pour « remplir » la surface de « l'Obscène ou la Multiplication sans réponse ». D'ailleurs le titre est assez révélateur de la méthode.

Pourquoi cette dénomination de "Principe d'incertitude", alors que j'ignore à l'époque « le principe d'incertitude »  de Heisenberg (que je découvrirai peu après avec intérêt)? Parce que je peux dès lors construire mon travail sur ce "principe" de base qui me dit que le doute et donc l'incertitude n'est plus un frein à ma création, puisque "de toutes les façons" j'ai les moyens d'avancer quelle que soit ma "situation". Ce principe là est resté encore aujourd'hui ma "manière" de travailler pour avancer tranquille et léger dans la réalisation de tous mes « ouvrages »


Quelques fragments de « Mon Principe d'incertitude »


De loin l'introduction d'incertitudes, quelles qu'en soient les raisons, paraît être une incitation prétexte à des dispositions involontaires pour accomplir le principe fondamental de la méthode dans la construction de tous mes ouvrages. Je dois limiter mon geste à l'addition quelle que soit la situation. Je m'offre légèreté et tranquillité pour avancer. Cet éblouissant voyage en pleine lumière me stimule pour continuer la traversée. Où s'en va le sens? Toutes ces actions de l'addition multiplient l'expérience en reconnaissant le présent partout là où le meilleur point de vue peut composer l’envers et l’endroit, si denses et fragiles à la fois dans le même temps. N'importe quelle chose peut s'établir dans toutes les directions. Je ne m'arrête pas chaque fois que ma vie supporte les grandes idées et les grandes fatigues de mon existence. Il ne s'agit pas de possession mais de l'esprit de l'énergie. Je tisse les morceaux de la tapisserie du monde où je suis. C’est ça ce dispositif, les opérations se poursuivent jusqu'à l'infini de la multiplication: action, présentation, mixage, et manifestation. Dans tous les sens. Une construction mosaïquée par juxtapositions de morceaux, qui peuvent aussi se retrouver réemployés dans plusieurs pièces de la tapisserie. Comment les définir? Des blocs d'espaces et de temps. Je vois tous les choix possibles. J'additionne. N'importe quelle chose peut s'intégrer au processus. Toutes ces surfaces incarnent un continuum d'existences par l'action qui les crée. L'idée de mises bout à bout de tous ces morceaux de quelques choses m'emmène bien sûr dans une perspective infinie. Ce tissu du patchwork de la vie réquisitionne toute mon attention parce que tout se tient dans la réalité du monde où je suis. Que faut-il comprendre? Toutes mes promenades rencontrent des morceaux et des fragments de quelque chose que j'additionne au hasard du flux de mes déplacements. L'action du moment dans toutes ses combinaisons produit au-dessus de la scène comme de la lumière pour élargir le rayonnement de la vision générale du monde où je suis. L'action de l'artiste nous pose la question de l'art en direct. Le résultat final, l'œuvre, est en ce sens la conséquence. Ce que je dis n'est important pour la méthode qu'autant que l'apport présent qui se joue ici peut en dehors des valeurs connues créer des moments de joie suprême et même de révélation. C’est ça ce dispositif, les opérations se poursuivent jusqu'à l'infini de la multiplication, dans tous les sens. C'est comme la promenade dans la rue qui nous fait additionner tous les morceaux de quelque chose qu'on peut voir et entendre en même temps. Voilà une histoire d'addition même si jamais l'arpenteur ne peut chiffrer sa mesure. C'est un réel bouleversement. J'additionne quelque soit la situation. C'est juste une question d'échelle jusqu'aux dimensions de l'univers. Le temps n'en finit pas de resplendir. En fait toute situation déploie la surface-temps de l'univers, que nous appliquions ou non notre conscience à le savoir, parce que tous les jeux sont possibles dans l'universelle réalité, toutes les combinaisons. L'imagination peut désormais pénétrer l'incertitude de l'art en direct, ce long travail illimité comme un acte capital qui permet quelques autres, comme une distance à l'intérieur, comme un long processus tout au long de mon épopée, une mise en circuit qui s'ouvrirait dans l'évanouissement du silence comme une cohabitation de temps différents peut-être, quelque chose comme une grammaire universelle sous des éclairages justement différents parce que l'art peut offrir ce moyen de jouer entre tous les hommes de tous les temps et bien sûr de tous leurs lieux. Mais je n'affirme rien, j'essaie d'exprimer bien haut une sorte de lumière. J'imagine les parties étalées comme de vastes espaces infinis, comme des jardins précieux, tout entiers. J'additionne tous ces fragments de mosaïques comme une absence de prédiction fondamentale. Je suis tranquille. Chaque formule particulière à cet égard trouve une solution parce que tout ce que je fais devient en réalité capable d'émettre une manifestation du temps qui nous englobe tous forcément, tout point particulier de cet espace sachant l'existence des autres points particuliers de cet espace. J'additionne tous ces fragments sous des éclairages toujours différents parce que je vois tous les choix possibles. J'additionne et je remplis. J'écris des connexions pour tous nos savoirs et nos consciences. Toute situation déploie la surface-temps de l'univers qui la contient, je ne sais pas encore ce qui pourrait ne pas s'inscrire dans ce champ là, au-delà de mes incertitudes qui ne me gênent pas. C'est l'envie de l'art bien au-delà de l'art pour accroître le jeu des interférences et des rencontres.

Le réel de chacun n'est pas le réel universel.

Le souffle de l'incertitude dans chacun de nos sens mais la pensée tournée vers le soleil accompagnée d'un fort sentiment d'une humanité nouvelle que toutes les époques ont essayé de tisser mais qui pourtant reste bien toujours la même et c'est réjouissant.


Notes complémentaires


Ce qui alors ne peut plus être certain, c'est la forme « finie » de l'objet œuvre obtenu. Il ne s'agit plus d' « objets » mais de « propositions », jamais immuables, toujours transformables, des pluralités d'organisations. Je ne puis jamais être « certain », sûr, d'une composition finale (structure), qui serait créée une bonne fois pour toutes, serait la « bonne » présentation finale de l'oeuvre. Donc « des possibles d'oeuvres » plutôt, des mises en scène de possibilités.

Au-delà des conséquences de ma pratique et de ses découvertes, ce principe d'incertitude est aussi né d'un vif sentiment de la précarité de tout savoir : toutes les connaissances qui s'additionnent par nécessité vitale pour élargir l'espace mental et ses prétendues convictions culturelles.

Dans ma phrase « ce qui est là pourrait ne pas y être et ce qui n'y est pas y être » j'entends un temps simultané contenant tous les temps. Je crée la réalité.

La réalité est incertaine,fragile et précaire.



Copyright © Pierre Pilonchéry 1982




Retour Accueil