PIERRE PILONCHERY

pilonchery.com



QUELQUES LIEUX ET LEURS MOMENTS

Notes de travail pour une exposition


Pierre Pilonchéry

2007



Ce texte se présente sous la forme d'une suite de notes écrites pendant le chantier de l'installation "Quelques Lieux et leurs Moments" que je monte avec Amaury Jacquot, artiste de cirque, dans un entrepôt désaffecté, le Bâtiment Z, au quartier de la Confluence entre le Rhône et la Saône à Lyon, du 5 au 16 février 2007. Il s'agissait de montrer là non pas une oeuvre achevée mais un travail en train de se réaliser, le public pouvant y participer. On peut lire ce texte comme un chantier d'idées à exploiter.



Comment je travaille?

Sans doute je m'attache à quelques fonctions unificatrices de l'art. Localement je polarise mon audience en attachant beaucoup plus d'importance à ce qui peut se dire et circuler en dehors du climat culturel sous l'apparence d'une autre substance pour toujours pouvoir dépasser ce que nous connaissons. Nous sommes aussi bien en chemin pour un lieu que pour un autre et nous composons nos vies par juxtapositions de fragments. C'est juste une addition. C'est juste une ambition pour nous vider des choses inutiles, une sorte de réduction spirituelle si vous voulez, parce que tout lieu additionne une mémoire en déplacement, comme un jeu de maillage de l'espace et du temps. C'est pour ça que la traversée du monde par les hommes menace toute forme de résignation et même d'abandon. Tout ce qui se passe et peut se montrer figure l'expansion qui n'en finit pas. Moi j'additionne. Je fais jouer ensemble les machineries de l'homme et de la nature et ce merveilleux spectacle irréversible n'a pas encore atteint les limites qu'on veut bien lui donner parce qu' en face il se trouve toujours quelque chose à recommencer. Voici donc ce que je montre: des paysages de proximités à découvrir en permanence sans aucune urgence. Et voici donc ce que je dis: comment prends-tu la vie? Quelques Lieux et leurs Moments se présente sous la forme d'une expérience pluridisciplinaire dans le temps parce que le champ de la création y est rendu public dans un jeu d'actions et de diffusion en même temps. Nous accrochons nos regards à ce que nous ne connaissons pas. C'est l'esprit du lieu. S'approprier un lieu pose avant tout la question de l'appropriation par chacun de nos propres existences parce que notre voyage inévitablement manifeste notre être et tous ses composants que le lieu traversé se contente de révéler. Quel chemin sommes-nous capables de tracer? Il ne s'agit plus de mettre l'art en exposition mais en action. Alors la mémoire fonctionne comme un collage pour révéler le temps d'appropriation des territoires que nous traversons. Je crois que nous sommes en permanence entourés de quelque chose dont on peut faire quelque chose, je ne le transcris pas, je l'intègre sans souci de mesure et plutôt même jusqu'à la démesure. Des agrégats d'actions si vous voulez. Comment vivre cette intervention, de quelle expérience peut-elle nourrir le visiteur? Vous voyez que la fonction de l'art est à redéfinir pour chaque intervention d'un artiste. L'art d'aujourd'hui ne peut plus avoir de territoire propre parce qu'il peut occuper tous les terrains, même un terrain de foot-ball et même aussi la planète rouge lorsque nous pourrons y aller. Par exemple j'ai beaucoup aimé intervenir dans un centre commercial en octobre dernier (savez-vous qu'on doit sûrement au commerce et à tous leurs jeux d'échanges l'invention de l'écriture?). Vous voyez donc que ce territoire, cet entrepôt, que nous occupons pendant ces 2 semaines sous la forme d'une résidence dans un lieu qui n'est pas celui de l'art habituellement c'est aussi celui de la Terre et de tous ses lieux que nous pouvons occuper bien autrement si nous voulons savoir quitter les terrains de nos connaissance. C'est juste une question de regard, juste quelques lieux que nous parcourons pour savoir les voir. Qu'est-ce donc que voir? Percevoir au-delà du regard. Ne voyez pas dans mon travail des préoccupations formelles réductrices comme un abri pour ne pas voir. L'art se redéfinit à chaque création qu'il nous propose et je travaille vous le savez en additionnant des petites choses pour en faire de grands ensembles parce que la vie même est construite comme ça. L'intervention artistique programme l'occupation d'un espace mais non pas sa définition parce qu'elle reste toujours provisoire. Ne cherchez donc pas à voir dans ce que je fais et projette tel ou tel territoire plutôt que tel autre parce qu'on ne peut pas considérer indifféremment chaque poussière de particule dans l'univers où nous sommes. Mon travail saisi dans sa notion d'évolution additionne pour toujours mieux voir l'ensemble universel qui forcément l'englobe quelque soit le lieu qui le reçoit. Il est impossible dans cette idée de ne pas inventer pour découvrir. On préfère ouvrir la porte et passer de l'autre côté plutôt que rester devant la porte à la regarder. Qu'en pensez-vous? La notion de durée permet ici de rejoindre le monde tout entier. Partout dans le monde circulent les images et les sons, on peut obtenir une surface infinie en laissant sur place ce qui nous unit. Pilonchéry vous emmène à vous-même. Le créateur ne s'agite pas dans l'excitation mais simplement voudrait y fonder le durable et le non durable en une même et brillante énergie, après c'est peut-être juste une question de vocabulaire pour le dire mais c'est dans tous les cas un moment magique plein de l'énergie du monde tout entier dans tous les contextes que l'on peut imaginer. On peut écouter longtemps longtemps, c'est comme l'eau qui coule vous savez, nous découvrons l'immensité. Là nous résidons sans qu'il y aient de frontières parce qu'un lieu forcément appelle un autre lieu. Tout le monde connaît ça, c'est l'expérience que nous vivons. Notre existence quotidienne fixe la qualité de notre bonheur. Lorsque je travaille avec mes collaborateurs je cherche à susciter pour eux le bel enthousiasme de celui qui participe à l'aventure humaine dans l'univers tout entier parce que l'art élargit le regard. Toutes les formes de circulations, commerciales, artistiques, culturelles, économiques, ludiques, etc... dirigent nos pas et mon travail fait lien avec cette autre chose qui l'entoure, c'est juste une question de regard, de près ou de loin c'est pareil. C'est aussi une question de temps, ce contexte spatial ne se détache jamais d'un processus temporel. Nous traversons la géographie locale ou globale et nous sommes dans un théâtre à cause des déplacements de nos corps et de nos regards. Alors nous pouvons aller voir d'autres territoires où l'on ne cherche jamais à vouloir atteindre quelque chose de parfait dans ce que l'on connaît parce que le premier territoire sur lequel nous devons agir pour jouir de l'art c'est nous-même si nous voulons savoir user librement de toutes ces particules qui font le monde tout entier dans lequel nous agissons. Nous devons prendre le temps si nous voulons savoir dépasser le cadre consacré de l'art et de ses habitudes. C'est comme une musique si vous voulez, ce qui peut nous intéresser ce n'est pas tant ce qu'on entend que ce qui provoque ce qu'on entend. La notion de durée peut y tisser notre pensée, c'est le moyen original et merveilleux d'opérer notre souveraineté. Je localise donc mon travail dans des lieux différents à chaque intervention, je ne l'implante jamais définitivement dans un type d'espace, parce que le monde est vaste pour inventer et découvrir. En fait la vibration des espaces que j'occupe et que je travaille est fondamentalement cosmique. Je vis sur un terrain nommé Terre situé sur un territoire aux limites encore inconnues qu'on appelle l'Univers. Là notre époque possède les moyens techniques d'imaginer une véritable géographie d'existences pour partager nos compétences et dépasser tous les territoires déjà dessinés. Quelles y sont nos forces novatrices? La stratégie c'est l'addition. L'invention des artistes transmet de nouvelles évaluations des moyens de création, je n'essaie pas de les expliquer, je tourne autour jusqu'à faire disparaître le conflit parce que l'artiste crée la situation. Nous découvrons l'immensité et nous questionnons notre rôle pour la traverser. Donc bien sûr nous devons savoir vivre dans l'incertitude si nous sommes conscients de tout ce que que nous ignorons. Alors nous pouvons construire notre équilibre comme l'artiste de cirque qui sait se tenir en équilibre instable pour avancer. Je répète: il ne s'agit pas d'expliquer mais de tourner autour jusqu'à faire disparaître le conflit. Je répète: la stratégie c'est l'addition. Étant donné que dans un espace délimité tout ce qui se passe peut donc s'interpénétrer, le compte-rendu de l'intervention artistique mérite tout autant sa place dans les pages sportives, politiques ou commerciales que dans celles des événements culturels. Nous donnons un coup de pied gigantesque à toute appellation contrôlée, l'art manifeste la transformation d'une énergie non évaluable qui peut occuper tous les chantiers. Alors dans ce que nous choisissons d'orchestrer le choix du lieu est porteur de sens forcément, par exemple l'exploitation commerciale et industrielle de la Terre m'oblige à travailler les lieux tout autant que les matériaux qu'elle invente. Quelque chose d'artistique peut donc s'imaginer sur tous les territoires que l'homme peut traverser. Comment? Un, nous élaborons des méthodes pour nous mettre en action. Deux, notre présence reconnaissable dans l'espace-temps grâce à nos traces impulse plutôt qu'une expression la forme d'un geste dans lequel sont immergés les circonstances de nos actes et de l'espace qui les entoure. Et dans ce contexte l'expérience de création ne manque pas d'atteindre une forme d'intemporalité qui bien sûr devient la nôtre. Nous traversons un territoire pour questionner sa disparition peut-être en informant le lieu d'une autre réalité pour en faire un territoire de possibles autres réalités. L'artiste de cirque par exemple peut amuser, jongler, danser, mimer, nous apprenons à sortir des catégories. Un lieu existe parce que quelqu'un assure son existence. Dans cet esprit la méthode multiplicative apporte alors de nouvelles valeurs à la culture, on peut écouter longtemps longtemps, c'est comme l'eau qui coule vous savez, nous découvrons l'immensité. La fonction unificatrice de l'art c'est l'histoire de notre présence au monde dans son infinie répétition.

Voilà comment je travaille.



Copyright © Pierre Pilonchéry 2007








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