PIERRE PILONCHERY

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Textes publiés dans "WALKER, Pierre Pilonchéry,14 mai - 26 juin 2009, Autour d'une exposition" par des étudiants acteurs de l'installation "Walker" qui occupait le Forum et la Galerie de l'Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, commissaire Florence Jaillet avec la participation de David Gauthier responsable du service culturel de l'ENS.




ESSAI SUR WALKER IN THE UNIVERSE: VERS UN TISSAGE TOTAL

Par Jonathan Letoublon



Pierre Pilonchéry depuis plus de trente années tisse, entre art et quotidien, une œuvre totale reflétant notre monde. Sa pratique minutieuse et maximaliste donne à voir un enchaînement d’œuvres dont l’activation s’effectue par l’interaction, le tissage de l’universel par l’utilisation du quotidien. En témoigne ses publicitages débutés en 1998. Depuis 1976 cet artiste se tourne vers de multiples média, que ce soit ses surfaces tissées ou encore sa vidéo Walker, créant de ce fait une pratique contemporaine hautement plurielle. La première œuvre, 3mn (1976) est une pièce sonore réalisée à partir d’un assemblage de divers sons, cette pratique n’est pas sans évoquer John Cage dont la pièce 4.33" (1952) fait d’ailleurs écho au titre choisi par Pierre Pilonchery.

À l’image de sa vision « mosaïquée » du monde, l’artiste nous propose une ballade dans le quotidien comme reflet de tout l’univers. A travers ses publicitages ou encore ses visionnages, nous entrons tel le Walker in The Universe dans une œuvre totale, reflet du monde et de ses connections.

Cette œuvre aux allures de Gesamtkunstwerk contemporain, par cette union de l’art et de la vie, se rapproche des premiers discours de Walter Gropius au Bauhaus lorsque qu’il invitait chaque artiste et artisan à participer à ce renouveau de l’art dans la société.Presque un siècle après cela, Pierre Pilonchéry réactive cette vision en réalisant La grande surface et tous ses lieux dans un centre commercial de Lyon. Cet assemblage par le système de l’installation, développe une œuvre dont nous, spectateurs, faisons partie intégrante et met ainsi en place un processus de résonances multimédias postmodernes.

Une telle production, qualifiable de postmoderne donne à voir un monde fragmenté, une vision « mosaïquée », qui nous parvient par le biais des grandes surfaces all over, fractions kaléidoscopiques de notre quotidien, symboles du tissage du monde et de ses connexions.

Le quotidien émerge de cette surface fragmentée, insaisissable dans sa totalité, à l’image de nos vies, un tissu d’expériences colorées et sans fin. Fraction de temps et d’espace, à l’image de ce Walker qui s’invite où l’on veut bien de lui, qui rapporte une trace de son voyage universelle, fraction du monde où nous évoluons. L’installation, le visionnage, la performance rendent cette œuvre dynamique et illimitée, bien qu’elle cristallise un instant, la pluralité des média nous englobe dans une totalité universelle mais fractionnée, à l’image des tissus de Pierre Pilonchery et à l’image de notre perception du monde.

Une œuvre dynamique, exponentielle, alliant art et monde dans un espace où le monde est convié parce que partie intégrante de l’œuvre. Spectateurs à l’image du Walker, nous marchons à travers l’univers de Pierre Pilonchéry et pour ainsi dire dans notre univers.e puis gauche


Copyright © Jonathan Letoublon 2009



DROITE PUIS GAUCHE OU GAUCHE PUIS DROITE

Par Romain Perrin



Droite puis gauche, ou gauche puis droite et on recommence tout au troisième pas, cela s’appelle marcher. Rien n’est plus simple, rien n’est plus naturel. Geste essentiel de la vie que l’on accomplit sans s’en rendre compte, il marque une étape dans le développement du nourrisson et devient un handicap terrible lorsque l’on en est privé. Aussi, le Christ accomplit-il un miracle lorsqu’il guérit les paralytiques, d’où la célèbre phrase: « lève toi et marche ». Les évangiles ne le mentionnent pas mais il est permis d’imaginer que l’un d’eux aurait répondu : « Mais pour aller où ? ». A phrase mythique question…philosophique, que l’homme s’est toujours posé. Autre question non moins pertinente qui pourrait être soulevée : pourquoi l’acteur de la vidéo de la galerie marche-t-il ? Parce que « The walker » pardi ! En fait, il ne marche pas mais fait semblant de marcher en restant sur place. A quoi bon se déplacer si c’est pour aller nulle part ? Voilà la vraie question qu’il aurait fallu poser et à laquelle le « walker » répond par sa démarche stoïque et régulière, artificielle, simulée. Le marcheur ne marche pas et ne va nulle part parce qu’il ne se situe ni dans le temps ni dans l’espace, il est dans l’action pure. Il ne franchit pas de distances car il est en perpétuel chemin. Sans départ ni arrivée, il est un marcheur sans voyage qui recommence chaque fois le même geste, le même pas. C’est un éternel recommencement qui fait écho aux diffusions filmées de la vidéo dans d’autres lieux par des amateurs ou des professionnels et qui sont réinjectées ensuite dans l’œuvre sous forme d’un film de films. L’œuvre « Walker » grandit au fur et à mesure des projections. Contrairement au marcheur du film l’œuvre voyage. Mais qu’est-ce qui voyage ? L’œuvre est-elle le film ou le voyage lui-même, c’est-à-dire la propagation du film de par le monde ? De plus, le film ne voyage pas vraiment, ce n’est pas une bobine de pellicule qui emprunte le bateau ou l’avion, ce sont bien plutôt des signaux électriques émis depuis un ordinateur vers un autre par des flux invisibles de telle sorte que le film peut-être projeté dans plusieurs endroits en simultané quelle que soit la distance. Rien ne marche décidément ! Le monde ne tourne pas rond, on s’y perd comme dans un labyrinthe, on s’y noie comme dans un océan. Un océan d’images qui soulève des houles à chaque fois pareilles mais toujours différentes à chacun de nos pas. Les devantures des kiosques à journaux sont comme des trous noirs, une matière qui absorbe toutes les images du monde dans des feuillets pour nous les retransmettre sous la forme de lieux communs. Nous connaissons par ce biais chaque endroit de la terre sans jamais y avoir mis les pieds et nous nous créons un monde où les femmes sont toujours plus luxueuses et les voitures toujours plus belles ! Le tissu de ces images, évoqué par l’artiste dans la grande tenture s’écroulant dans le hall de l’ENS depuis la rambarde, guide en fait nos pas. Attirés que nous sommes par les qualités de ces images nous ne cherchons aucun chemin à travers le réseau labyrinthique qu’elles constituent. Tout recommence dans un gigantesque parcours entropique. Nous tournons à droite, puis à gauche et encore à gauche. Notre papillonnage est d’autant plus volage qu’il est rapide. Accéléré à raison d’en moyenne 24 images par seconde, le cliché est mobile et véloce. Il se déporte au gré des modes et des années. Si nous nous déployons verticalement au fil du temps, comme l’illustre l’énigme que pose le Sphinx à Œdipe, lui se développe horizontalement, échappant ainsi aux conséquences du temps. Le cliché est partout et nulle part à la fois, tout comme le « walker » de l’exposition qui habite l’espace de différentes manières et tend à l’hégémonie. La cascade d’images débordant le premier étage dans le hall est un leurre, une anamorphose au sein de l’espace de l’ENS mais aussi un punctum de l’exposition. L’enchâssement de l’image publicitaire dans l’image générale de la tenture est un écho à la structure de l’œuvre, morcelée où le singulier fait corps avec le général, au principe du film, succession d’images particulières pour former un tout, et enfin au monde où l’on retrouve ce principe d’assimilation du particulier dans le collectif. Encore une fois, nous avons l’idée d’un emboîtement télescopique. Dans « télescopique » il y a « télé » comme « télévision » et « scopique » comme dans « scopitone », c’est la notion de réseau, le même que celui des images que présente la tenture ou celui dont nous parlions à l’instant et à travers duquel nous nous perdons. Finalement, si nous avons eu l’impression de cheminer nous n’avons pas particulièrement avancé, nous sommes revenus à notre point de départ : le « walker » qui ne se déplace pas. En vérité, s’il y a bien une chose qui tourne en rond c’est nous-mêmes.


Copyright © Romain Perrin 2009








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